Voyage au centre du cœur de Sophie

  • Photo par Mariely Rivera-Hernández
  • De gauche à droite: Ysabel Lorthiois rscj (BFN); l'auteure, Mariely Rivera-Hernández ; et Ana María Uribe rscj (COL)
  • Mariely Rivera-Hernández (Universidad del Sagrado Corazón à Porto Rico)
 
 
 
« Entre les rives de l’Yonne et les coteaux de Bourgogne,
aux portes de l’Île-de-France, 
le Centre Sophie Barat
vous propose des retraites et haltes spirituelles variées
et vous ouvre les portes de la maison natale
de la fondatrice des religieuses du Sacré-Cœur de Jésus ».
(Centre Sophie Barat Centre: http://centre-sophie-barat.com/Francais)
 
 
Doucement et tranquillement arrive le jour en juillet de ma visite à Joigny, ville bourguignonne de France, La chaleur de l’été invitait à parcourir ces villes et villages qui confirment que la France et sa beauté ne se réduisent pas à Paris.  J’aurais pu me fixer une autre destination, mais un matin du mois de février avait envahi mon cœur de quelque chose de providentiel et, dans l’émotion de cette voix intérieure, je décidai ce voyage.
 
J’étais toute attendrie à l’idée de connaître la maison natale de Ste Madeleine Sophie Barat. Il y avait longtemps que je me plongeais dans la lecture de ce qui touche à sa personne, ses opinions et ses principes. Cependant, pour entrer en profonde relation avec Sophie -comme elle aimait qu’on l’appelle- il me fallait me rendre à Joigny et me laisser emporter vers une autre dimension où le temps n’existe pas.

Sophie et moi avons entretenu, des mois durant, toute une conversation profonde. J’aimais l’idée d’arriver en France dotée d’une sérieuse documentation, pour y déposer mes questions les plus pointues. Or sur place, tous mes projets sur la profondeur se sont transformés et j’ai abandonné derrière moi le poids des questionnements, les inquiétudes de l’esprit, le souci de la réflexion. Mon cœur restait le seul capable de voir, de sentir, de palper et de percevoir les effluves de ce qui s’était vécu en ces lieux.

 
La rencontre avec Sophie
 
Un petit chemin d’aspect rustique et des rues enveloppées d’histoire m’ont amenée au Centre Sophie Barat.  C’est un lieu qui accueille pour des retraites personnellement accompagnées ou vécues de manière indépendante, mais toujours enveloppées de silence. C’est la maison natale de Sophie, un espace pour l’intériorisation, un lieu de pèlerinage, et, en quelque sorte, un musée permettant d‘approcher de très près ce qui fut l’environnement physique, esthétique, culturel et social de la ville où grandit cette sainte femme.
 
 
   
Photos par Mariely Rivera-Hernández
 

Assise sur un bloc de pierre, je contemplai la façade de la maison aux fenêtres et portes bleutées d’où pendaient des vasques de fleurs couleur abricot, j’attendais qu’il fût 2h. et pourtant, 10 minutes avant, je sonnai, et j’eus la surprise de découvrir que Chantal, Ysabel et Ana María m’attendaient,  Ce sont trois religieuses extraordinaires de la Congrégation du Sacré-Cœur. La barrière des langues disparut aussitôt car, outre le français, elles s’exprimaient aussi en espagnol ou anglais.  Elles m’ont reçue avec infiniment d’affection. Je me suis sentie comme une enfant qui vient visiter une famille connue depuis toujours. Or, ce qui est certain, c’est que je ne les connaissais absolument pas.

J’ai apprécié chacune de leurs attentions : du goûter qu’elles ont si gentiment partagé avec moi jusqu’au parcours semé d’anecdotes qu’elles m’ont fait faire. C’était… comme la narration d’un conte qui faisait place à l’histoire dans le contexte de la France de 1779. La vertu même du conte réussit à te transporter comme dans une machine à remonter le temps et aussitôt tu découvres les personnes en costume d’époque, tu perçois les bruits du quotidien de ce temps, tu sens la température qui passe du chaud au froid et vice et versa, et tu peux humer les senteurs du bois comme de la paille lorsque tu t’approches des colonnes et des murs allégoriques de ton environnement.

Le moment qui m’a le plus parlé a été celui où j’ai imaginé Sophie dans l’escalier bourguignon : je la voyais courir à petits pas et gagner la fenêtre d’où elle pouvait observer les scènes de la rue et entendre les gens. Je compris pourquoi dans ses messages et ses écrits, l’imagination prend une telle place. 

J’ai pris conscience peu à peu de l’énergie de la passion des religieuses.  J’ai vécu un moment crucial lorsque ma mémoire m’a transportée à Puerto Rico. Je n’écoutais plus que les savants raisonnements des sœurs Madeline, Mari Clemen et Socorro. J’entendais aussi leurs voix ardentes retraçant le projet de 2006 comme partie intégrante de la lettre du Conseil Général des Religieuses du Sacré-Cœur selon laquelle « eduquer est essentiellement un acte de justice ».  

Des réflexions surgissaient en moi par moments et je pensais que Sophie était parvenue à réaliser bon nombre de ses désirs.  D’abord : toucher les personnes en approchant leur âme de ce Dieu d’Amour dont le sacré-cœur fait un modèle, et secondement les inspirer à partir de l’éducation.

 
Entreprendre sur le plan de l’éducation
 
Voici des années que je réfléchis sur la notion d’esprit d’entreprise au niveau de l’éducation , et après tant de théorie et de méthodologie, j’avais besoin d’approcher quelque chose de plus concret, comme par exemple de comprendre l’histoire de Sophie pour découvrir qu’elle a effectivement été la première à entreprendre toute cette œuvre qui a commencé à se ciseler à partir de Joigny.
 
 
   
    La chambre de Sophie à Joigny                                    Détail du portrait de Sophie
                  (photo par Mariely)                                           (archives de rscjinternational)
 
 
Entreprendre est une œuvre de changement, de mutation vers de nouvelles manières de penser et d’agir.  
 
Sophie s’est lancée à entreprendre à partir de sa rencontre de Dieu, transformant le sentiment de sacrifice et de peur en exercices d’amour et d’espérance.  C’était une femme super douée car elle savait que, pour entrer dans le changement, il lui fallait promouvoir l’éducation.
 
Elle apprit dès sa plus tendre enfance que l’éducation était un passeport pour éveiller à la connaissance et axer sa mission sur quelque chose de concret.  L’éducation était pour elle ce véhicule de la transformation apte à former les familles et les communautés à partir de visions différentes, capables d’accueillir la vulnérabilité de l’environnement comme les bouillonnements culturels, politiques, économiques, de la conjoncture européenne.
 
Il est certain qu’elle a tout focalisé sur les femmes, même si la Révolution Française a été un événement qui a eu son incidence sur la vie des hommes et des femmes, jeunes et vieux. Cependant, Sophie a toujours trouvé son point d’ancrage dans le désir de mettre en pleine lumière le pouvoir de la femme afin d’accentuer l’évolution de la famille et de la communauté. En d’autres termes, elles savaient que les femmes deviennent les stratèges de l’évolution à partir de l’apprentissage. Sophie entretenait sa volonté de créer les conditions pour une éducation des femmes et son désir de contempler Dieu, comme un Dieu d’amour. 
 
Et il en fut ainsi ; l’esprit d’entreprise de Sophie trouva son parfait accomplissement dans le changement de perspective spirituelle orientée vers un Dieu d’amour qui s’exprime sur le plan terrestre par l’éducation des femmes. Et c’est ainsi que son intuition engendra l’effet multiplicateur de l’éducation des jeunes et des enfants.
 
 
Points de tangence avec notre Universidad del Sagrado Corazón et Porto Rico
 
Notre Université porte le nom du Sacré-Cœur et son axe fondamental réside en Sainte Madeleine Sophie Barat ; nous constituons donc une base importante des fondements de l’entreprise de Sophie.
 
 
   
              Universidad del Sagrado Corazón                Mariely avec des groupes d'étudiants universitaires
 
 
Porto Rico vit une époque bouleversée en mal de transformations internes. L’Histoire nous a appris que l’unique constante réside dans le changement. J’ai pensé à la France Révolutionnaire car c’est bien elle qui a engendré tout un mouvement de changement social qui a fait œuvre de transformation dans le monde entier ; du temps a coulé et les Français ont continué à s’adapter aux changements tantôt avec succès, tantôt dans l’erreur, mais de toutes manières, dans la transformation. De même, Porto Rico pris dans le courant de ses propres caractéristiques, se trouve affronté aux plus grands défis que lui pose la période  dans laquelle elle se trouve, et dans laquelle ce n’est pas l’absence de technologie qui nous effraie, mais le manque d’idéologie pour les uns et d’identité pour les autres.
 
Ceci nous oblige à réfléchir sur plusieurs événements, entre autres l’éducation et les jeunes. Sur ce terrain, nous sommes concernées par l’enseignement supérieur, secteur dont on parle tellement, mais que l’on étudie si peu. Nous vivons une conjoncture de défis provoqués par de multiples facteurs, parmi lesquels il faut noter l’événement démographique dans une population qui vieilllit à grande vitesse. En même temps, la diaspora s’accroît, constituée de qroupes qui s’expatrient et se fixent à l’extérieur.
 
Je me suis demandé ce que Madeleine Sophie pouvait bien penser de Puerto-Rico, et mon instinct me dit qu’elle nous appellerait à nous transformer, et à oser nous lancer à faire les choses autrement.
 
Les universités n’ont plus d’autres solutions que d’entreprendre et d’offrir à différents secteurs de la population d’autres expériences novatrices. Sagrado se situe sur deux latitudes ; ou bien elle émerge, ou bien nous stagnons. De même que Sophie, dès 22 ans, s’est remplie de force et eut la vision de fonder la Société du Sacré-Cœur, qui est actuellement présente dans 40 pays, de même pour Sagrado : il s’agit de garder à l’esprit que ces transitions peuvent être considérées comme des opportunités capables de multiplier les bonnes idées qui ont donné de bons résultats, de jeter les fondations de nouveaux espaces pour une pensée critique sociale et de permettre que d’autres idées germent dans le respect de la réalité.
 
De Joigny à Santurce, la volonté, la droiture, le courage, l’optimisme, la foi parmi bien d’autres qualités, constitueraient déjà le premier pas.
 
Ces connexions, il faut les sauver à tout prix, comme il faut sauver les liens existants entre l’extérieur de Puerto Rico et plusieurs des Chapitres de la Congrégation. Nous avons des points de contact et des points communs comme le sont l’éducation et la jeunesse. Une jeunesse qui ne se mesure pas exclusivement par l’âge : être jeune réside dans l’attitude et l’esprit.
 
 
Introspection dans le silence
 
Je n’ai jamais connu de jardins fleuris de roses, de lis, de marguerites de lavande et autres fleurs. Chaque coin de ces jardins m’a connectée avec les attributs dont Sophie a marqué son œuvre : la volonté, l’optimisme, la sensibilité, Cela a constitué pour moi la rencontre mythique entre la sagesse, la beauté, et un sentiment tout spirituel de bien-être. Cette marche à travers les fleurs m’a amenée de nouveau à la rencontre d’une Sophie à la fois solide, mais pleine de compassion, leader répandant la spiritualité du Cœur de Jésus, et toute résilience face aux leçons reçues.
 
 
   
Photos par Mariely Rivera-Hernández
 
 
L’éducation a toujours été et continuera à être son moteur pour semer le changement depuis les jardins du Centre Sophie Barat jusqu’à ces autres jardins semblables à ceux qui sont les nôtres à Sagrado.
 
Je suis repartie au rythme du temps, après m’être laissé enchanter par la maison de Sophie. J’ai quitté ces lieux, rendue plus forte par l’amour reçu, par la sublime beauté perçue et par tant de découvertes. 
 
La ville de Joigny m’attendait pour que je me fonde dans le paysage de ses vignobles, dans son pont enchanteur et dans ces coups de pinceaux aux mille couleurs lorsque tu les découvres des divers points du parcours. C’est pourquoi je disais que la France ne se réduit pas à Paris et c’est avec raison que Van Gogh, Renoir et Monet, entre autres virtuoses de l’art, ont légué de précieux trésors impressionnistes inspirés par la nature de ce grand pays européen.
 
 
   
Photos par Mariely Rivera-Hernández
 
 
J’ai parcouru la rue Davier jusqu’à son extrémité et j’ai porté mon regard vers le numéro 11. J’ai fixé de tous mes yeux la maison aux fenêtres bleutées et les rayures nuageuses flottant dans le ciel.
 
J’ai remarqué les gens et leur affabilité mi-rurale, mi citadine. J’ai quitté la ville, remportant mon sac à dos où mon cœur battait de toute la force de mes sentiments,  irradiant de lumière. J’ai laissé à Joigny un bon morceau de mon cœur avec l’espérance de rester en connexion à partir de mon coin des Caraïbes. 
 
En silence, j’ai continué à marcher…, j’ai respiré un parfum de terre sainte, j’ai pris des photos.  J’ai dit : “A bientôt ! “ au Centre du Cœur de Sophie. Maintenant, c’est son cœur qui bat en moi
 
 
Mariely Rivera-Hernández
Universidad del Sagrado Corazón
Porto Rico
Mariely Rivera-Hernández est Vice Présidente de l’Excellence Estudiantine de l’Université du Sacré-Coeur à Porto Rico.  Grâce à vingt ans d’expérience dans différents projets, elle s’est révélée être un fidèle agent de changement en faveur de l’excellence et de la justice par le moyen de l’éducation. Sa participation à la mission éducative du Sacré-Cœur a toujours eu pour objectif le désir de faire connaitre et de propager les lignes de force du projet éducatif de Ste Madeleine Sophie Barat, tant pour les adultes que pour les jeunes.
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