Georgina Zubiría

La vie est don et mouvement, une merveilleuse occasion qui nous est offerte de  mette en œuvre l’énergie qui nous habite, imprégnée du mystère de Dieu ; Dieu qui en est la source et le terme, l’Alpha et l’Oméga.

Cette certitude s’est forgée en moi peu à peu, tout au long de ma vie. Les rencontres et les ruptures, les recherches, les crises les réussites et les échecs, les joies et les peines, les amours et les indifférences que j’ai vécues ont accompagné mon chemin de femme, de fille et de sœur, de religieuse et de théologienne. Un chemin toujours partagé, peuplé de présences qui ont un nom, un visage et qui font naître mes sentiments et  mes décisions. J’appartiens à plusieurs familles, que je remercie et que j’honore. Elles connaissent le meilleur de moi-même, qu’elles ont contribué à développer. Elles savent aussi mes limites, mes faiblesses et mes fragilités ; leur capacité de pardon est pour moi la certitude que toujours, toujours il est possible de changer et de grandir. La conversion du cœur et la transformation des mentalités est une réalité qui nous constitue. De cette manière seulement  l’évangile est crédible,  dans notre histoire et notre humanité.

Dans ma propre famille nous sommes treize. Cinq filles, six garçons - l'un d'entre eux nous bénit et nous accompagne à partir de sa communion avec Dieu -, papa et maman encore en vie , c’est une bénédiction! J’ai grandi au milieu d’eux, j’ai appris à vivre avec des personnalités très diverses par l’âge, le tempérament, les histoires et les contextes de chacun. Nous nous retrouvons souvent , nous échangeons en partageant le repas. C’est une expérience qui me fait percevoir Dieu–Communion en continu.

Il y a maintenant - en 2011 - 33 ans que je fais partie de la famille du Sacré Cœur qui comprend la petite Société et la grande famille de ceux qui partagent notre spiritualité. C’est là que j’ai appris et que je continue d’apprendre, la vie fraternelle. Avoir tant de sœurs, c’est un cadeau énorme ; c’est en même temps un grand défi parce que vivre avec des sœurs , cela ne se fait pas comme par enchantement. Bien sûr il y a des amitiés profondes qui naissent spontanément, il y a aussi des relations quotidiennes qui se construisent enracinées dans le désir de communion et qui s’accompagnent parfois d’une certaine dose d’effort que l’on assume dans la foi. Parce que j’appartiens à cette grande famille, des portes se sont ouvertes pour moi sur des horizons, des expériences et des options qu’il m’aurait été difficile de connaître autrement. Une expérience décisive et fondamentale est celle de la rencontre affective et effective avec le monde des pauvres, à Santa Cecilia, quartier populaire aux abords d’une grande ville. Mes choix actuels sont marqués par le souvenir de Chita et de François, de Luis et de Malù, de Tere et de Memo, de Juanita et de Javier et de tant et tant d’autres qui aspirent à une vie digne, à un monde qui leur offre des possibilités de travail, une terre où puisse régner la justice miséricordieuse de Dieu. Ma rencontre de personnes subissant les conséquences d’un système structurellement injuste a marqué ma découverte du Jésus de l’Histoire et de  son projet de règne de Dieu sur l’humanité.

Ma famille de sang et ma famille religieuse m’ont prise par la main pour m’introduire dans ma famille ecclésiale : notre Eglise catholique, sainte et pécheresse, pleine de vitalité dans les petites communautés chrétiennes et pleine aussi de contradictions dans son organisation et ses structures qui excluent les femmes et d’autres groupes minoritaires. Ses discours, chargés d’évangile certes, ne sont pas toujours accompagnés d’actes et d’attitudes qui soient réellement une bonne nouvelle.

J’ai pris conscience de mon être de femme dans ma famille ecclésiale, que j’aime parce qu’elle a été le lieu de croissance de ma foi. Dans les rapports et le travail avec des femmes différentes par l’âge et le style de vie, la culture et les croyances, j’ai découvert que  je suis passionnée par la recherche de l’équité, qui découle, j’en suis sûre, du don que Dieu nous fait de son Amour. Mes recherches théologiques, les cours que j’accompagne et l'actuelle responsabilité partagée au Centre d’Etudes théologiques de la Conférence des Religieuses et Religieux du Mexique, viennent tout à fait dans la ligne de cette conviction.

C’est également au sein de ma famille ecclésiale qu’a grandi mon affection spéciale pour la vie religieuse, particulièrement pour la vie religieuse féminine. Je connais des joies et des souffrances de tant de sœurs qui m’ont enrichie de leur partage quand j’accompagnais leur discernement ou leurs exercices spirituels. Pour les avoir rencontrées je suis de plus en plus persuadée que nous vivons une époque fascinante car nous pouvons participer activement à la construction d’une ère nouvelle, plus imprégnée de l’Evangile et de l’Esprit.

En définitive, en tant que membre de la grande famille humaine, j’ai  peu à peu modifié mes images de Dieu, celles que j’avais héritées de mes divers contextes familiaux. Dans ce cheminement, qui ne se fait pas sans douleur, Marie de Nazareth m’a été très présente, elle a été ma compagne intime de mon chemin humain et de mon chemin de foi. Toutes mes familles ont posé sur moi leur empreinte ineffaçable sur  mon identité. Je suis mexicaine d’origine et de cœur. J’aime ma terre et son peuple ; je remercie Dieu de nous avoir donné Marie de Guadalupe et avec elle je cherche à Le rencontrer dans nos systèmes d’exclusion, de  violence et d’oppression.

Mon appartenance à la famille du Sacré Cœur m’a intimement liée à Jésus, à son Cœur blessé par la violence, et je reste fortement convaincue que, tant que le monde restera blessé par l’injustice, notre spiritualité a un sens et s’ouvre pleinement aux clameurs de nos peuples.

J’ai fait l’option de rester dans la grande famille qui, structurellement parlant, souffre des conséquences du péché ; cela me stimule et mobilise mes énergies pour travailler en faveur de toute vie menacée. La théologie latino américaine, qui est née chez nous,  a été source et nourriture dans ma recherche de Dieu, dans ma suite de Jésus et mon désir de vivre en fidélité à l’Esprit.

Mon identité chrétienne et ecclésiale m’oblige à être tenace dans mon désir d’aller de l’avant dans cette ligne, au jour le jour, par de petits gestes qui anticipent  la vie réconciliée dans la plénitude de la communion. La théologie féministe m’encourage et me pousse à œuvrer pour la justice.

J’aime ma vie religieuse, à laquelle je m’identifie par une option libre et lucide, et je reste convaincue que vivre ce style de vie peut me combler pleinement.

En définitive mon appartenance à la grande famille humaine me met dans l’action de grâce  quand je réalise qu’un autre monde est possible si nous développons le meilleur de l’humain qui nous habite.
 
 
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