C’est surtout à nous, mes bonnes Filles, qu’il appartient d’avoir une profonde dévotion pour ces mystères de la Croix, puisque vous le savez, c’est dans le dernier acte de cruauté exercé sur la personne adorable du Sauveur que notre Société a pris naissance, c’est alors qu’a été révélée en quelque sorte, la dévotion au Sacré-Coeur. En effet, il ne restait à Jésus-Christ que le Coeur qui ne fût pas blessé puisque sans miracle Il ne pouvait l’être avant la mort du Sauveur. Tout son corps n’était qu’une plaie et selon l’expression du prophète depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête il ne restait rien, qui n’eût été mis à nu. Ses pieds et ses mains étaient percés de gros clous, sa chair adorable avait été mise en lambeaux dans la flagellation, enfin des épines aiguës couronnaient sa tête. Oh ! si vous aviez vu les épines de la sainte couronne ! elles ont la grosseur et la longueur d’un doigt, et elles étaient enfoncées jusqu’au noeud dans la tête de Notre-Seigneur. Figurez-vous un peu quelles intolérables souffrances !
Eh bien ! je vous disais donc avec raison que le Coeur seul restait intact ; mais notre divin Maître, qui voulait se livrer entièrement à nous, permit que la cruauté d’un soldat ouvrît encore ce Coeur qui devait nous servir d’asile, et fît couler par là goutte à goutte le sang qui restait à Jésus. Ah ! mes bonnes Filles, n’est-il pas étonnant que ces souvenirs ne fassent en nous qu’une impression passagère ? et pourquoi donc cela ? C’est parce que nous n’entrons pas habituellement dans ces pensées, que nous ne nous remplissons pas des sentiments d’un Dieu, parce que nous nous laissons facilement envahir par des pensées, je ne dis pas profanes, mais seulement vaines et inutiles. Oui, le défaut de réflexion seul nous empêche de goûter ces mystères d’une manière profonde et pratique, et chose inconcevable, si nous voyons souffrir à la dernière des créatures la moindre partie des souffrances qu’a endurées pour nous un Homme-Dieu, si nous entendons le récit de la mort des martyrs, nous sommes pénétrées d’admiration et de douleur, nous partageons en quelque sorte leurs angoisses. Combien plus le souvenir de la Passion devrait exciter notre émotion, et nous remplir d’un amour toujours nouveau pour la Croix. Oh ! mes bonnes Filles, ce n’est que par elle que nous obtiendrons l’esprit de notre vocation, et c’est aussi à l’étude de Jésus, à l’union avec sa Croix qu’est attaché notre paradis terrestre.
Je me rappelle, à ce sujet, une pensée que Saint Bernard, un de ceux qui ont le plus écrit sur la Passion, développe avec une onction admirable, Oui, s’écrie ce grand Saint, je verse des larmes de reconnaissance et de joie, quand je pense à la faute de nos premiers parents, c’est vraiment une heureuse faute, car au lieu d’un jardin de délices, qu’elle nous a fait perdre, elle nous a valu un paradis mille fois plus beau dans la possession de Jésus. En effet, sans la chute d’Adam et d’Eve, Dieu ne se serait pas fait connaître à nous aussi intimement qu’Il l’a fait par Jésus, et nous n’aurions eu ni la Croix ni l’autel, car nous ne pouvons douter que Dieu pour récompenser l’obéissance de nos premiers parents ne leur eût donné la permission de se nourrir des fruits de l’arbre défendu, et dans cette nourriture ils eussent puisé la force et la vie, la source de mille biens temporels, l’exemption de tous les maux tels que les infirmités et la mort. En un mot cet arbre eût été pour tous un arbre de vie.
Mais depuis que pour expier le péché d’Adam, le Fils de Dieu s’est revêtu de notre nature, depuis qu’il a vécu familièrement avec nous, qu’il s’est fait l’un de nous, qu’il a pris sur nous toutes nos faiblesses et toutes nos douleurs, n’est-il pas vrai qu’Il s’est approché de sa créature plus qu’il ne l’avait fait dans le premier Paradis terrestre, et qu’Il a mis à notre disposition un véritable Paradis, qu’il ne tient qu’à nous d’habiter sans cesse.
Oui, nous y avons aussi un arbre de vie, et cet arbre c’est la Croix ! Les biens qui y sont attachés sont à la vérité d’une autre nature que les premiers, mais ils sont bien plus précieux. Nous n’y trouverons pas les mêmes jouissances pour la nature, mais cette Croix peut se changer par l’amour en un Paradis de délices….
N’est-ce pas dans la Croix que les saints plaçaient leur bonheur ? St. François Xavier, Saint François d’Assise surabondaient de joie dans la souffrance, et les martyrs se réjouissaient avec Saint Paul d’avoir été jugés dignes de souffrir pour Jésus-Christ. Je ne demande pas, mes bonnes Filles, que vous soyez déjà arrivées à cette perfection, d’ailleurs il en est parmi vous qui ne font que commencer, et les plus anciennes mêmes sont encore loin d’être parfaites, il faudrait du moins une tendance à cette vie et un des moyens les plus assurés pour y parvenir ce serait une grande fidélité au silence.
Ici notre très Révérende Mère a été interrompue, et nous a promis de continuer son instruction un autre jour ;
mais ses occupations l’en ont empêchée.
Ste Madeleine Sophie Barat
Conférence XCVII
Paris. 27 Mars 1852.
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